» Affriquez -vous?

« L'affrication, c'est une modification du mode d'articulation des consonnes, "t" et "d" notamment, c'est-à-dire que ça va être la combinaison d'une consonne occlusive qui se produit par la fermeture et l'ouverture brutale du conduit vocal, de la bouche autrement dit, qui est suivie par un frottement, une friction. L'affrication, c'est cette combinaison des deux modes et elle est souvent liée à un déplacement de la langue, soit l'avant, soit l'arrière de la langue vers le palais. C'est la palatalisation. Avant de s'appeler l'affrication, d'après les attestations qu'on a, plutôt au début du XXᵉ siècle, on parlait de palatalisation. Ça désignait le même type de phénomène.

L'affrication a une origine au Québec, mais une origine seulement. Une autre serait d'ici en France, de Marseille. C'est en tout cas une des pistes que la linguiste Maria Candea avance – avec prudence – dans Libération. Si rien ne permet d'affirmer que l'affrication trouve son origine à Marseille, c'est là en tout cas que son implantation est la plus avancée. En fait, ce tic de langage se développe d'abord dans les grandes villes mais l'affrication française n'est pas tout à fait la même que l'affrication québécoise. Et il y aurait aussi une affrication d'origine suisse.

Mais elle aurait peut-être une origine plus ancienne encore en France. Rosset, qui est un phonéticien du début du XXᵉ siècle, décrit des variations au XVIIᵉ siècle de ce qu'il appelle du patois de la banlieue de Paris. Il mentionne ce trait-là comme existant déjà dans des prononciations populaires. C'est un trait qu'on pourrait considérer comme un trait archaïque du parisien populaire.

Qui utilise l'affrication ?
Est-ce plus des filles ou des garçons ? Il y a une étude du linguiste Michaël Jamin, qui a travaillé en banlieue parisienne dans les tout début des années 2000, où il montrait que dans son échantillon, les garçons affriquaient un petit peu plus que les filles. Cyril Trimaille : "Aujourd'hui, je n'ai pas de statistiques et je n'ai pas complètement fini de travailler sur des données de collégiens et collégiennes, mais j'ai l'impression que c'est très bien réparti."

De manière général, ce sont plutôt les jeunes qui affriquent. Pour l'invité, c'est simplement le signe que les jeunes sont en avance d'une génération et que si le trait n'est pas abandonné quand ces jeunes deviennent adultes, s'il n'est pas stigmatisé, ça va monter dans les générations. Il dit également qu'il peut y avoir une espèce de rejet-fascination pour les pratiques langagières des jeunes, ce qui n'est pas du tout nouveau. Ce qui est un peu nouveau en revanche, c'est que ça se porte cette fois sur une question de prononciation et pas sur le "Quoicoubeh" de l'année dernière par exemple, ou sur les mots ou les tics de langage, ce qu'on appelle des marqueurs de discours, les "du coup", les "wesh" etc.

Cette affrication peut en partie provenir de l’influence du rap mais aussi de la téléréalité, comme l'explique Cyril Trimaille : "Certaines personnes imitent les téléréalités, le font avec de la distance et de l'ironie, voire même des formes de moquerie. Comme on est sur un phénomène de prononciation, cet usage distancié peut aussi devenir un usage qui perd la distance. On produit certains mots d'abord pour rire et ensuite on les intègre à notre vocabulaire. Le fait qu'on parle ici de prononciation, c'est beaucoup moins contrôlable consciemment que les aspects lexicaux, les mots et le vocabulaire."

Beaucoup de gens affriquent, pour l'invité. Il explique par exemple avoir noté que le Premier ministre Gabriel Attal affriquait, mais aussi des journalistes de France Culture. »
Source : média radio.

Article proposé par L'équipe Concordance le 23/02/2024 (lu 119 - catégorie : ) -

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